Pour établir une prévision réaliste, il « suffit » de faire évoluer dans le temps les variables qui composent un objet d’étude – ou une donnée donnée – dans un état donné. Par exemple, pour la météo, on dispose des axes et forces des vents, des masses d’air chaudes et froides, des zones de hautes et basses pressions, des courants marins, on entre dans un calculateur toutes ces variables et leurs évolutions habituelles, plus les interactions entre ces variables (soit une variable de variables avec un niveau de complexité supérieur), et on débouche sur une prévision à J+1, J+2, J+3...
Plus on avance dans le temps, plus cette prévision voit augmenter sa part d’aléatoire, c’est-à-dire de possibilité d’erreur. En général, on arrête de croire la prévision dès qu’on dépasse 5 ou 10% de marge d’erreur, ou alors on entre dans le domaine de la croyance, de la foi. Car au-delà, la marge d’erreur devient exponentielle, donc incontrôlable. Autrement dit, tout peut arriver.
Si l’on prend comme objet d’étude la tension sociale en France, tension qui est montée d’un cran depuis le 17 novembre 2018 et qui semble être retombée en juin 2019, on peut tracer de façon imaginaire – nous ne disposons pas de gros calculateurs, à part notre cerveau – les variables qui composent cette tension et déboucher sur une prévision à peu près réaliste, même si le terme réaliste contient déjà la notion d’à peu près.
Quelles sont les variables qui composent la tension sociale ? L’état économique général (la croissance, la confiance, l’emploi, les taux d’intérêt), l’état des finances (cash, épargne, crédit, aides sociales diverses et/ou familiales) des Français les moins aisés et donc susceptibles d’être touchés par la moindre variation négative de la conjoncture, la politique menée par le gouvernement (sociale ou antisociale, protectrice ou déprotectrice), la résistance des Français à la paupérisation (ça recoupe la variable 2), l’espoir d’un arrangement de la situation pour les plus précaires, la confiance dans la politique du gouvernement… Tout cela fonde l’espoir de s’en sortir ou au contraire l’assurance que les choses vont se dégrader. Entre les deux, un statu quo qui ne nous intéresse pas : nous nous intéressons au basculement.
L’événement « Gilets jaunes », que certains croient terminé, nous a appris une chose, que les observateurs de la France sociologique avaient déjà théorisée : il y a deux France, celle des grandes villes où vivent les pro-Macron, les pro-politique libérale, la France dite de demain, et celle des campagnes, où vivent les anti-Macron, les Gilets jaunes, la France d’avant ou d’hier. Ce sont des estimations, il y a évidemment des tas d’exceptions (par exemple les retraités qui sont légitimistes et qui votent pour l’ordre, concrètement pour ceux qui vont leur assurer le paiement de leurs retraites), mais les grandes tendances sont là : villes contre campagnes, riches contre moins riches. Le banlieue étant un croisement entre les deux, ni vraiment ville ni vraiment campagne, une zone urbaine métissée, comme ses habitants.
L’événement « Gilets jaunes » peut être comparé à un processus d’éruption volcanique, mais il n’est pas l’éruption : c’est une première secousse, sérieuse, mais ce n’est pas l’explosion finale. Il s’agit d’un avertissement envoyé à l’oligarchie, à la vraie dominance qui n’écoute pas les revendications des classes laborieuses, dites inférieures, celles de la France des campagnes qui ne dispose pas de relais médiatiques. Les campagnes sont donc « montées » dans les villes pour dire et faire entendre leur souffrance sociale, économique, leur abandon progressif par l’État libéral, si l’on peut se permettre cet oxymoron.
La deuxième secousse sera plus forte. Le corps physique comme le corps social fonctionne par avertissements : quand un travailleur est stressé, avant de développer une maladie psychosomatique il reçoit des informations du corps qui l’avertissent de ce qui va venir, et qui sera plus sérieux, plus grave. Le mouvement des GJ est le premier avertissement du corps social à la tête, celle qui dirige, l’élite. Si le cerveau ne change pas de cap, le deuxième avertissement sera plus violent, et le troisième définitif : il s’agira de l’élimination physique des symboles du pouvoir. Que les disciples de Macron se rassurent, nous n’en sommes pas encore là. Mais les choses vont vite, à l’ère de l’Internet, tout est accéléré dans le domaine politique, la construction comme la démolition : les deux premiers partis de France (l’UMP et le PS) sont passés de 28 et 27% au premier tour de la présidentielle 2012 à 8 et 3% aux européennes de 2019.
Si l’on prolonge les lignes des variables de départ, entre la saturation des campagnes (ce qui inclut les PMV, les petites et moyennes villes), la montée de la colère du peuple victime de la politique libérale, la surdité du pouvoir, la violence de sa politique économique et de sa répression policière, alors le choc est inévitable. Les deux courbes vont se croiser dans un big bang social. Mais il n’est pas dit que le pouvoir, qui est malin par définition, en arrive à cette confrontation qu’on appelle aussi l’émeute généralisée, ou la révolution. Il n’y a pas intérêt. Il dispose pour cela d’un arsenal de mesures de déviation des courbes – la sienne, mais aussi celle de ses victimes – à l’image des avions qui envoient des leurres quand ils sont « serrés » par un missile.
En réalité le choc peut être évité et remplacé par quelque chose de plus pacifique : une cohabitation, mais une cohabitation dans des frontières bien comprises. Qu’est-ce à dire ?
Nous avons deux France qui se regardent en chiens de faïence. L’une est aisée, dispose de jobs en CDI, de services publics en bon état de fonctionnement, d’un réseau de transports publics dense, d’un niveau éducatif correct, d’aides à l’enfance, à la vieillesse, etc. ; l’autre se débrouille avec des boulots de plus en plus durs, de plus en plus rares, et de plus en plus petits. Des petits boulots précaires qui font voir l’avenir en noir, ou en gris. Il n’y a plus d’horizon, il n’y a d’autre horizon que le lendemain, et il faut tenir, jour après jour. Cette deuxième France, désertifiée, abandonnée par les pouvoirs publics, est un monde de pauvreté, de débrouille, de troc mais aussi de fraternité. L’individualisme des villes n’y règne pas. La fraternité y est obligatoire. La violence y existe aussi, mais dans les banlieues, qui cumulent d’autres handicaps qui peuvent croiser ceux des campagnes : déficit éducatif, disparition de l’emploi (mondialisation), défaillance programmée des services publics…
En conséquence, devant la violence sociale ou physique qui monte des campagnes et des banlieues (une violence reçue et non une violence produite, nuance), la France des (grandes) villes sera obligée de se fortifier contre ce qu’elle appellera le terrorisme des pauvres ou des exclus de la croissance. On propose social-terrorisme.
C’est tout l’objet des programmes de sécurisation d’un Alain Bauer, qui conseille les présidents de la République depuis trois quinquennats. La protection des privilégiés, reclus dans des villes-forteresses, se fera au moyen de milices et de murs (intérieurs) : on ne pourra pas entrer comme ça, venant de l’outre-monde, dans une grande ville de Français supérieurs. Il y aura des passeports intérieurs, le traçage par puces, reconnaissance faciale, RFID ou GSM...
Comme les hypermarchés ont déjà leurs milices privées, les lieux de consommation auront leurs milices contre la violence potentielle des pauvres, qui sont paradoxalement les principaux producteurs (usines, champs). Il y aura séparation entre la France qui produit et la France qui gère et qui consomme, la tête et les jambes. Là encore, paradoxe que tout le monde connaît, ce sont des pauvres qui seront utilisés contre des pauvres pour sécuriser la Ville, l’Argent, la Banque.
Mais les pauvres de la 2e France (des banlieues) ou de la 3e France (des campagnes) n’auront pas forcément l’idée de s’en prendre à la 1ère France, car on ne peut pas braquer un emploi, un niveau de vie, une éducation. Tuer un riche ne servira à rien, on ne pourra pas lui voler son niveau technique ou son anglais courant. Il y aura des émeutes, émeutes de la faim, des braquages d’hypermarchés, des pillages, des vols en cascade, mais pas de guerre ouverte. On peut s’attendre à une guérilla, des intrusions dans la Ville et des assassinats de personnalités, de symboles de l’Injustice : juges, journalistes, politiques, lobbyistes, people. La liste est connue. Ces éliminations physiques préfigurent l’option 3, qui est une guerre civile non déclarée, de basse intensité, difficile à détecter, mais suffisamment sérieuse pour rendre le pouvoir paranoïaque, ou plus paranoïaque qu’il n’est.
Pour ceux qui ont une image d’Épinal du Moyen Âge, la France redeviendra quelque peu sauvage hors des villes, les bandits de grand chemin renaîtront, les riches ne se déplaceront plus qu’avec des escortes au sol sinon par air, tout en craignant un tir de missile. Car le trafic d’armes ira bon train : il est possible que les pauvres s’arment pour leur survie, et autrement qu’avec des fusils de chasse. Les banlieues sont déjà pleines de kalachnikovs et de lance-roquettes, théoriquement pour attaquer des fourgons ou se défendre contre les bandes concurrentes.
Ce scénario d’une guerre civile riches/pauvres n’est pas le scénario souhaité par l’oligarchie, le national-sionisme ou le socialo-sionisme aux commandes, disons le sionisme tout court car il peut prendre une forme socialiste ou une forme nationaliste, l’important étant de conserver le pouvoir quelle que soit la conjoncture. On l’a vu avec le comportement des Rothschild pendant les révolutions du XIXe siècle en France, la haute banque a tout de suite négocié habilement avec les nouveaux pouvoirs, qu’ils soient bourgeois ou anti-bourgeois, républicains ou antirépublicains. Le scénario vers lequel le national-sionisme des Zemmour, Goldnadel, Habib et in fine Netanyahou veut voir la France entrer, c‘est celui d’une guerre pauvres/pauvres, d’une guerre des campagnes contre les banlieues, des Blancs contre les immigrés, des chrétiens contre les musulmans, une guerre civile sur une base raciale (ou religieuse) et non pas sociale, puisqu’une guerre sociale serait inévitablement verticale, par définition.
Dans ce scénario qui peut paraître catastrophe pour certains, il y a matière à espérer : par exemple, les milices – forcément constituées de pauvres – utilisées par les privilégiés contre les pauvres (des campagnes ou des banlieues) pourront être infiltrées par le camp du Bas, ou du Bien, un peu comme les Barbares ont fini par constituer des armées autonomes aux confins de Rome, un pouvoir central qui ne pouvait plus contrôler sa périphérie. Cependant, le pouvoir pourra remplacer les milices françaises par des milices immigrées, mais pas d’une immigration francisée, non, d’une immigration de clandestins, de migrants, des milices antifrançaises par fonction et par origine. C’est peut-être l’une des raisons de l’implantation en saupoudrage sur notre territoire de ces petits soldats du mondialisme, comme nous les appelons sur notre site, qui peuvent effectivement devenir de vrais soldats pour le compte de l’oligarchie : ils n’aiment pas notre pays, sont souvent issus de zones de guerre, et leur importation n’a pas de sens économique et encore moins social. Peut-être sont-ils là pour semer la peur chez les autochtones.
Dans ce scénario, le sous-scénario le plus probable est une évolution progressive, sans forcément de brutalité, vers une partition de la France. Il y aura la France des privilégiés, de ceux qui ont un emploi assuré, dont les enfants feront les études supérieures pour assurer leur avenir, et la France des – en théorie – mal ou sous-éduqués, des mal informés, qui se débrouillera dans un système D généralisé. Ce sera la fin de l’ascenseur social et de la passerelle sociale. Les pauvres ne pourront pas entrer dans une grande ville comme ça, il faudra une raison, un Ausweis, mais aussi de l’argent (numérique donc traçable), on le voit aujourd’hui avec des capitales qui instaurent des péages urbains (28 euros la journée à Londres pour les voitures les plus polluantes, celles des pauvres en général), ce qui constitue un mur économique pour les très pauvres. Au Moyen Âge pour entrer dans la forteresse du seigneur local il fallait payer l’octroi, un droit d’entrée.
Restera deux solutions pour les pauvres : renoncer d’y aller ou violer la loi (faire le mur pour entrer dans la forteresse !), car la loi sera de plus en plus répressive, on le voit depuis deux ans : le nombre d’interdictions et de nouveaux délits grimpe en flèche. On se doute qu’avec toutes les techniques possibles et imaginables de fichage (banque, sécurité sociale), de scan facial, de big data, avec des réseaux (a)sociaux sous étroite surveillance (les RS sont déjà une étroite surveillance en eux-mêmes !), il faudra être très malin et très informé pour déjouer ce plan. De nouveaux guerriers apparaîtront, adaptés à la nouvelle situation, et des seigneurs de guerre – ou de paix – les organiseront.
Cependant les villes vivront dans la peur, et les campagnes y gagneront une certaine liberté (il n’y aura plus un radar de vivant sur les routes secondaires). Les banlieues, quoi qu’on en dise, sont déjà bien avancées sur le chemin de l’autonomie et de la débrouille. Peut-être sont-elles en avance sur les campagnes, et que ces deux France ont un destin commun. De nouvelles façons de se soigner, de travailler et d’apprendre vont émerger, et il n’est pas sûr que le fatum – la branche qui incarne la pointe de l’Évolution – soit du côté des villes. L’adaptation au futur risque même de se trouver du côté de cette France qu’on croyait rétrograde, condamnée, et ce sera un vrai retournement. L’ordre ancien n’aura plus de prise sur la France d’après.